L’essor du système bancaire

 

Les entrepreneurs, qui font ordinairement appel à l’autofinancement, se plaignent parfois de manquer de crédits pour des besoins exceptionnels. Or de simples banquiers, quelle que soit leur fortune, disposent de moyens limités, ne leur permettant pas de faire face brusquement à des appels de capitaux d’une ampleur toute nouvelle. Cette situation s’est produite par exemple pour la construction des grandes lignes de chemins de fer dans les années 1850, ou pour stimuler la modernisation de l’industrie exposée à la concurrence anglaise à partir du traité de libre échange de 1860. Dans de tels cas, la nécessité d’autres organismes de crédit se fait sentir.

Jacques Laffitte forme le projet d’un nouveau « système des banques »

Dès 1827 le banquier Jacques Laffitte avait tenté de lancer une société commanditaire du commerce et de l’industrie, puis des saint-simoniens, parmi lesquels les jeunes frères Pereire, avaient formé le projet hardi d’un nouveau  » système des banques  » devant permettre à l’économie de bénéficier largement des miracles du crédit. Les réalisations se sont bornées à la création, sous la monarchie de Juillet, de  » caisses  » comme la Caisse générale du commerce et de l’industrie fondée par Laffitte en 1837. Ces établissements, uniquement parisiens, qui font des prêts aux forges et aux chemins de fer, sont des banques par actions aux moyens encore limités, qui immobilisent dangereusement leurs fonds. Aussi ont-elles été emportées par la crise économique et politique de 1847-1848.

Le rôle des banques nouvelles s’affirme

C’est seulement sous le Second Empire (1852-1870) que s’affirme le rôle des banques nouvelles, constituées sur de larges bases en sociétés anonymes par actions. L’année 1852 voit la naissance du Crédit foncier, qui va financer la transformation des grandes villes, en particulier de Paris, puis se lancer dans des prêts à l’Égypte, avant de se cantonner dans le crédit aux municipalités et les prêts à des particuliers sur hypothèques, mais n’est pas l’organisme de crédit à l’agriculture espéré par certains.

La même année 1852, les frères Pereire, forts de l’appui de Napoléon III, qui a lui-même été influencé par le saint-simonisme, et du concours de familles de la haute banque, créent le Crédit mobilier, qui devient rapidement sous leur direction une banque puissante et dynamique. A l’imitation de la Société générale de Belgique, cet établissement se fait, en France comme à l’étranger, le promoteur de grandes entreprises de toutes sortes, qui constituent déjà un véritable groupe financier comprenant des exploitations minières, de grands établissements de crédit comme la Banque impériale ottomane ou le Crédit foncier autrichien, des sociétés ferroviaires et des compagnies d’assurances françaises et étrangères, la Compagnie générale transatlantique, des compagnies chargées de l’équipement des grandes villes et de la construction d’immeubles. Mais le Crédit mobilier n’obtient pas du gouvernement l’autorisation de multiplier ses émissions d’obligations comme il l’aurait voulu, et il immobilise trop ses fonds dans des prêts à la Compagnie immobilière, une filiale qui s’est imprudemment engagée à Paris et à Marseille. En 1866-1867 il est secoué par une dure crise, les Pereire sont forcés de démissionner à la demande de la Banque de France, qui leur était très hostile, et cette grande entreprise décline.

Désormais, les grandes banques, ce sont le Crédit lyonnais et la Société générale, nés en 1863 et 1864, qui, après le Crédit industriel et commercial (fondé en 1859), mettent en oeuvre l’innovation majeure, qui va permettre de drainer l’épargne nationale.

Ils partent à la chasse aux dépôts, en imitant les grandes banques anglaises : ils se constituent de véritables réseaux d’agences, utilisent les services des démarcheurs, et font appel à la réclame pour faire valoir les gros intérêts et les multiples services qu’ils offrent à leurs déposants (service des titres, octroi de carnets de chèques, l’usage de ces derniers étant devenu légal en 1865, etc.). Ils parviennent ainsi à surmonter les réticences des épargnants et à faire la conquête d’une assez large clientèle. A la veille de la guerre de 1914-1918, le Crédit lyonnais, qui est la première banque française, a plus de 600 000 titulaires de comptes.

A leurs débuts, ces établissements de crédit ont utilisé hardiment les fonds qu’ils centralisaient ainsi sous forme de dépôts généralement à vue, dans des spéculations risquées, dans des prêts à long terme pour le financement de véritables investissements industriels. Ils se sont comportés comme de véritables  » banques à tout faire « . Le titre initial de la Société générale était d’ailleurs : Société générale pour favoriser 1e développement du commerce et de l’industrie en France.

Crises

Mais cette politique industrielle s’est avérée dangereuse, et ces banques ont été mises en péril par de massifs retraits de dépôts lors de la guerre de 1870 et des graves crises qui éclatent pendant la  » grande dépression  » (1873-1896), notamment en 1882 et 1889. Naturellement porté à la prudence et conscient de ces risques, le président fondateur du Crédit lyonnais, Henri Germain, décide à partir de 1870 et surtout de 1882 de se cantonner dans les crédits à court terme, seul emploi à ses yeux convenant pour des dépôts à vue. Son exemple est suivi par le Crédit industriel et commercial (qui présente la particularité de ne pas avoir en province d’agences, mais seulement des filiales largement autonomes) et plus tardivement par la Société générale. Les banques de dépôts se spécialisent ainsi dans les opérations d’escompte, et aussi dans les avances sur titres et les reports en Bourse. Du même coup, elles se différencient des grandes banques d’affaires : également constituées en sociétés anonymes, celles-ci, qui n’ont pas d’agences en province et tirent leurs ressources surtout de gros dépôts à terme ou de l’émission d’obligations, prennent des participations dans des entreprises et leur font des prêts de longue durée. Les principales de ces banques d’affaires sont la Banque de Paris et des Pays-Bas (1872), la Banque de l’Indochine (1875), et la Banque de l’union parisienne constituée au début du vingtième siècle par plusieurs familles de la Haute Banque protestante.

A la veille de la première guerre mondiale, la France dispose ainsi de structures bancaires relativement diversifiées.

Les banques d’affaires et la Haute Banque s’occupent surtout d’opérations à terme, de grosses affaires financières. Les effets de commerce, qui se sont multipliés et tiennent une place plus considérable que dans les autres pays, constituent le support essentiel du crédit à court terme. Cette  » matière escomptable  » est recherchée à la fois par les banques locales et régionales (qui font aussi de la commandite), par les grandes banques de dépôts, et par la Banque de France, qui pratique non seulement le réescompte mais aussi l’escompte direct. L’économie a donc à sa disposition des crédits commerciaux abondants et relativement bon marché.

Des critiques pourtant s’élèvent. Ces grandes banques de dépôts, qui placent dans leur clientèle beaucoup de titres étrangers comme les « emprunts russes », sont l’objet d’une violente campagne, qui culmine en 1906-1910. On accuse cette  » oligarchie financière  » de détourner ainsi l’épargne nationale vers l’étranger aux dépens de l’équipement du pays. On regrette que ces banques aient négligé l’agriculture, ce qui a amené l’État à favoriser la formation de caisses de crédit agricole (lois de 1894 instituant les sociétés de crédit agricole – qui deviendront les caisses locales – et de 1899 donnant naissance aux caisses régionales). Enfin, les petits entrepreneurs et les artisans se plaignent d’accéder difficilement aux prêts des banques, et le ministre des finances Caillaux crée en 1911 une commission chargée de combler cette lacune de notre système bancaire en préparant une loi favorisant le développement des banques populaires, loi qui sera votée en 1917.

Même si dans une large partie de l’opinion ces grandes banques demeurent mal vues, elles ont su s’attirer une clientèle relativement nombreuse et développer considérablement leurs opérations. En 1914, le Crédit lyonnais est d’une taille comparable à celle des plus grandes banques de la City

Source : Alain Plessis – site Internet de la fédération bancaire française