Le Crédit Mobilier

 

Informations extraites du livre de M. Aycard intitulé « Histoire du Crédit Mobilier » paru en 1867 (source sur le site de la BNF)

 

Ce livre est une enquête minutieuse sur la faillite du Crédit Mobilier, basée notamment sur les rapports des assemblées annuelles d’actionnaires. Il révèle une certaine mégalomanie des frères Pereire dans le développement de leurs affaires.

 

C’est le 20 novembre 1852 que parut au Moniteur Universel, journal officiel de la République française le décret d’autorisation de la Société Générale de Crédit Mobilier, sont présents à la création devant notaire:

M. Benoit FOULD, chef de la maison de banque B-L Fould et Fould Oppenheim

M. Emile PEREIRE administrateur de chemin de fer du nord

M. Isaac PEREIRE, administrateur du chemin de fer de Paris à Lyon

M. Adolphe d’EICHTHAL, président du CA du chemin de fer de Paris-St Germain

M. Gédéon MARC DES ARTS, banquier

M. Jean-Pierre PESCATORE, négociant

Et de nombreux autres banquiers, hommes d’affaires, rentiers,…

On peut lire dans la déclaration de création: « Considérant les services importants que pourraient rendre l’établissement d’une société ayant pour but de favoriser le développement de l’industrie des travaux publics, ….. ils ont résolu de réaliser une œuvre si utile, et qu’à cet effet ils entendent fixer, ainsi qu’il suit, les bases et les statuts d’une société anonyme sous la dénomination Société Générale de Crédit Mobilier. »

Le fonds social est fixé à 60 millions de francs soit 120 000 actions de 500 fr chacune. Sur une première quantité d’actions émises, soit 40 000, la répartition est la suivante :

B-L Fould et Fould Oppenheim : 11 445 – Emile Pereire : 5 773 – Isaac Pereire : 5 673.

Suit une centaine d’actionnaires possédant de 10 à 750 titres. On voit d’emblée la part importante des frères Pereire.

…/… Pendant les dernières trente années, toutes les richesses du pays, richesses agricoles, commerciales, industrielles et financières, s’étaient reconstituées lentement. L’épargne s’était accrue dans des proportions considérables, et, par suite, le capital disponible s’était nécessairement augmenté. Les ressources du pays représentaient une somme énorme.

Ces trésors, amassés par l’épargne, par le travail, par la production, on les a trouvés tout accumulés, tout prêts en 1852. On les a employés, de 1852 à 1866, en chemins de fer, en travaux publics, en guerres, en emprunts, en affaires de tout genre. C’est la paix, la paix profonde, conservée pendant deux générations, de 1815 à 1851, qui a fait la force de l’Empire de 1852 à 1866.

On savait que ses fondateurs appartenaient aux plus hautes régions financières : on citait à l’envie les noms de la maison B. L. Fould et Fould Oppenheim, dont le chef était M. Benoît Fould, frère aîné du ministre d’État, Achille Fould ; de MM. Torlonia et Cie, les riches banquiers de Rome ; de MM. Salomon Heine et Cie, banquiers à Hambourg ; de M. Adolphe d’Eichthal, frère de Gustave d’Eichthal le publiciste, président du Conseil d’administration du chemin de fer de Paris à Saint-Germain; de M. H. G. Biesta, premier directeur et organisateur du Comptoir d’Escompte aux jours difficiles de 1848 ; de MM. Des Arts, Pescatore, Ch.Mallet, de Abaroa, Ernest André, baron Seillière,duc de Galliera, duc de Mouchy, etc., etc. On voyait, dans la réunion de ces hommes tous puissants par leurs richesses ou leur influence, des gages certains de succès.

Mais on savait surtout que du Crédit Mobilier, Messieurs Émile et Isaac Pereire étaient la double âme, dualité solidaire confondue en une seule individualité : Les Pereire, disait-on alors, et dit-on encore, sans distinction de l’un ou de l’autre. Le Crédit Mobilier, c’était eux.

Les frères Pereire avaient le renom d’une haute capacité financière : ils étaient regardés comme des esprits hardis, audacieux même. On les disait doué d’une activité dévorante. A ces titres, on attendait beaucoup de leur concours.

Par la hardiesse et par l’audace qui foule aux pieds les scrupules, on peut arriver à la fortune,mais on n’acquiert pas toujours l’estime et la considération.

Mais en matière de finances, dans les questions d’argent, toujours si délicates et si difficiles, dans la gestion des deniers d’autrui, surtout, ni la hardiesse, ni l’audace ne sauraient valoir la prudence et l’esprit de conduite. La première qualité d’un administrateur doit d’ailleurs être l’honnêteté rigide; sinon, tous les résultats obtenus sont contestables et peuvent s’évanouir.

En 1852, du reste, dans certaines régions sociales, on était peu enclin au désintéressement et aux vertus aimées de nos pères. On eut été mal venu à parler du mépris des richesses au sein du monde financier. Ce monde-là ne voyait qu’un but : la fortune ! n’entendait qu’un mot d’ordre : parvenir ! C’était comme une religion nouvelle.

L’argent était le Dieu; la spéculation, le culte; la Bourse, le temple; la corbeille des agents de change, l’autel ; la cote authentique, la Bible ou le Coran; les prêtres se recrutaient dans la banque, au parquet; les croyants, les fidèles, les martyrs, partout.

Combien de gens à cette époque d’entraînement irrésistible abandonnèrent leur travail, leur industrie, leur établi, leur comptoir, leur magasin et même leur maison paisible pour accourir à la Bourse et s’abreuver aux eaux du Pactole nouveau ! …/…

Dans ce mouvement fébrile et passionné, avant leur négociation au parquet et leur apparition sur la cote authentique, les promesses d’actions du Crédit Mobilier, s’étaient négociées à 995 fr. puis à 1100, et successivement, avec des oscillations continuelles de 25 fr. à 175 fr. par jour, en hausse ou en baisse, elles avaient atteint le cours énorme de 2,110 fr !

Les actions du Crédit Mobilier figurèrent pour la première fois sur la cote authentique du parquet de Paris, le 23 novembre 1852.

Le premier cours coté fut 1100 fr. Le 26 novembre le titre montait à 1785 fr. Mais le 31 décembre il ne valait plus que 875 fr !

Ses mouvements étaient saccadés, imprévus, violents. C’était la valeur la plus dangereuse du marché. Tel qui s’endormait riche la veille, se réveillait ruiné le lendemain, et réciproquement.

L’ouvrage décortique ensuite tous les rapports des assemblées générales des actionnaires de 1854 à 1866 en faisant toujours le même constat et ce dès la première année: on rassure sur l’activité, on promet des rentabilités, on présente les meilleurs résultats mais toujours dans un flou total, en manipulant les chiffres, en omettant certaines informations et personne ne trouve à y redire.

Les investissements pendant 12 ans vont être considérables: d’abord et essentiellement dans les chemins de fer, puis dans le gaz, les transports parisiens, les mines, mais également dans l’immobilier avec la « Compagnie Immobilière ». C’est cette société et ses participations dans la constructions des grands immeubles haussmanniens qui plomberont finalement le plus les comptes.

Voir la liste des participations du Crédit Mobilier

M. Aycard écrit page 553 : « Nous ne voulons pas rappeler tout ce qui s’est passé pendant l’orageuse existence de la Compagnie Immobilière, nous aurions trop à dire à ce sujet. Nous nous bornerons à faire remarquer que l’Hôtel du Louvre et le Grand-Hôtel figurèrent ensemble dans les premiers bilans, de la Compagnie, pour la somme de 30 millions environ, et que, par une plus-value inexplicable et miraculeuse, ils figurent aujourd’hui, dans ces mêmes bilans pour une somme de 50 millions. Il s’est peut-être passé quelque chose dans la gestion de la Compagnie Immobilière, dans les achats de terrains, dans les constructions, dans les travaux, etc., etc., des faits dont on ne saurait trop rechercher le mobile et le but. « 

Et à suivre:

« Nous ne voulons pas parler de la Compagnie maritime, et raconter comment elle opéra l’acquisition de son matériel. Ce matériel fut acquis dans des conditions telles que la Société fut rapidement obligée de liquider. Au moment où son existence était près de finir, uneconvention, un décret la transforment, une subvention magnifique, exagérée, peut-être la sauve : elle devient la Compagnie Générale Transatlantique.

Elle est concessionnaire du service postal entre la France, les Antilles et l’Amérique. La guerre du Mexique lui donne de nouvelles forces par des subventions considérables : les subventions annuelles payaient les dépenses de ses navires; 18 millions d’avances couvraient ses frais de premier établissement. Malgré ces avantages inouïs, seuls, les navires achetés à l’étranger ou construits en Angleterre, peuvent remplir les conditions du cahier des charges. Tous d’ailleurs revinrent à des prix impossibles d’exagération ; il en est du reste de même, de tous les travaux faits par la Compagnie.

Si de pareils abus ou de pareils désordres ont pu se produire dans les travaux dans les constructions de tous genres, constructions de chemins de fer, constructions d’immeubles., de maisons, d’hôtels, constructions de navires ou de matériel naval, etc., etc., quels ne doivent pas avoir été les abus et les désordres dans les opérations de finances, de banque, de spéculation, etc. De quelque côté que l’on se tourne, on n’aperçoit que des gouffres, où sont engloutis les capitaux du public. »

En 1866, année où pour la première fois on parle de pertes, le capital de la société sera doublé passant de 60 millions à 120 millions. C’est le début de la fin, la confiance est perdue et au cours des premiers mois de 1867 l’action ne cesse de chuter, passant de 516,25 fr en janvier à 187.50 fr en octobre.

Emile et Isaac Pereire quittent (démissionnent ?) la présidence du Crédit Mobilier le 22 octobre 1867 sans donner d’explication. La société est mise en faillite.

Le système des frères Pereire reposait finalement sur des spéculations nouvelles se renouvelant sans cesse. L’argent pour prospérer doit s’infiltrer partout.

James Rothschild qui avait refusé sa participation à cette entreprise spéculative dira : »la différence fondamentale entre un Rothschild et un Pereire, c’est que le premier demeure à jamais un banquier qui travaille avec son argent tandis que l’autre est fondamentalement un banquier travaillant avec l’argent des autres. »