Pilotes de Loire

 

Extrait du livre « L’histoire des pilotes de Loire » par Pierre Guillou – Geste éditions

 

Les pilotes qui étaient chargés de guider les navires ont contribué, bien avant la réglementation de leur profession par Colbert en 1681, à l’Âge d’or de la Bretagne qui était fondé à l’apogée de l’État breton, sur le commerce maritime. En montrant l’importance du Rocher de Saint-Nazaire où est apparu le bourg des pilotes au XVe siècle, ce livre, après les travaux du géographe nazairien André Daniel, tord définitivement le cou à cette légende du « petit village de pécheurs », qualificatif qu’on trouve encore dans certaines publications. Le site de Saint-Nazaire est indiqué sur les plus anciennes cartes de Bretagne, en particulier sur les fameuses cartes du Conquet, centre de cartographie marine réputé au XVIe siècle dans toute l’Europe.

Les Bretons étaient alors passés maîtres dans la science de la navigation comme le souligne l’historien Ronan Leprohon : « Le Traité de navigation ou Manuel de pilotage à l’usage des marins bretons (1548) comporte les côtes depuis la Baltique jusqu’en Afrique. Il cite 23 ports irlandais, 44 ports anglais, 25 ports écossais et … 19 ports africains ! » La première attestation au Moyen Âge de pilotes nazairiens est parvenue jusqu’à nous à travers les écrits de l’historien Henri Moret qui nous parle de la Pénitence de Dieu, navire breton armé en avril 1270 pour le compte du roi de France, qui contrairement à la Bretagne, n’avait pas de marine. Ce vaisseau nantais en partance pour les croisades « prend sur la rade un « laman » pour lui faire franchir la passe des Charpentiers. »

L’approche de l’estuaire de la Loire est loin de mener le marin vers un long fleuve tranquille comme en témoigne la longue liste d’épaves qui tapissent les fonds estuariens. Dans son introduction, l’auteur dit fort à propos que pour le marin « l’approche de la terre fascine autant qu’elle le menace. L’idée de recourir à un guide pour franchir ce mauvais pas est née de cette angoisse… »

Pour répondre à la demande croissante liée au développement du grand port de Nantes à partir du XVIIe siècle, les pilotes sont issus de trois pépinières : Belle-Île, Saint-Nazaire et Basse Indre. Nous découvrons ainsi « Belle-Île, l’avant poste », « Saint-Nazaire, les guetteurs de l’estuaire » et « Indre, les hommes du fleuve ».

Pour les pilotes, il n’y a pas moins de 70.000 miles de côtes à mémoriser entre le nord de Belle-Île et le sud de Noirmoutier, cette île longtemps disputée entre Bretagne et Poitou. Ils devaient aussi s’approprier les 30.000 miles de rivière, nom familier de l’estuaire pour la confrérie des pilotes.

On a parfois dit que Saint-Nazaire a été la plus grande ville belliloise dans les années 1930-1950, en raison de la présence d’une forte communauté insulaire. On n’est pas alors étonné de découvrir la proximité des pilotes de Belle-Île et du port de Saint-Nazaire, qui après avoir été longtemps concurrents, au fil des relations de cousinage entre les hommes des deux stations, allaient unir leurs forces par un accord mémorable, signé en septembre 1910. À partir de 1933 les deux stations n’allèrent plus faire qu’une. Ce n’était pas rien pour des hommes farouchement attachés à leur indépendance.

un bateau pilote avec son emblème sur la grand-voile

Voici ce qu’équivrait G. Le Barbier de Pradun en 1907 dans son ouvrage « Précis d’histoire sur le Vieux St Nazaire »

La renommée de ses pilotes (de Saint-Nazaire) est restée légendaire.

Qu’on nous permette ici d’insister, pour faire ressortir le mérite d’une catégorie spéciale d’individualités, que l’on peut classer à juste titre sous le nom de Travailleurs de la mer.

Nul ne saura jamais, la somme d’énergie et de dévouement que nécessite cette profession si périlleuse entre toutes.

Que de courage et d’abnégation ne faut-il pas, pour vivre dans cette sorte de fièvre et d’agitation perpétuelles, où l’esprit toujours en éveil ne connaît aucun repos.

La lutte continuelle contre les éléments, est en effet le partage de ces hommes, qui sans cesse sur la brèche bravent les intempéries, et tiennent tête à l’orage avec une froide intrépidité.

Suivons du regard cette embarcation qui file comme une flèche, tantôt disparaît entre deux lames, traverse une vallée profonde, tantôt elle échappe à toute vision ; puis soudain comme un cheval qui se cabre, se redressant sur la crête des vagues, elle continue sa course rapide.

Neptune lui-même, présiderait-il à cette évolution fantastique ?

Ce frêle esquif, porte le pilote et ses hardis compagnons. Les uns et les autres sont partis à la découverte, non pas d’un nouveau monde, leur ambition est plus modeste, mais d’un bâtiment quelconque qui se réclame de leur dévouement.

Il faut vivre sur le littoral, avoir été témoin de ces luttes continuelles, pour apprécier à sa juste valeur une existence aussi mouvementée.

La vie maritime à Saint-Nazaire, est donc intimement liée à celle de ces vaillants lutteurs.